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Tendances mondiales de la mobilité urbaine

Pierre Arnold

 

Les villes du monde grandissent et se consolident. Alors que les pays occidentaux semblent avoir atteint un certain équilibre entre urbain et rural voire commencent à perdre des citadins (shrinking cities), l’Amérique Latine est devenue la région la plus urbanisée du monde, les mégalopoles asiatiques grandissent de manière démesurée et les grandes villes africaines font face à une rapide urbanisation désorganisée[1]. D’après les projections de l’ONU, il y aura 1,5 milliards d’urbains supplémentaires d’ici 2030 (5 milliards contre 3,5 milliards en 2010), un défi d’ampleur et d’actualité dans l’organisation et l’aménagement des villes, en particulier celles des pays émergents et en développement.

 

Cette urbanisation massive accentuera incontestablement la pollution et l’endommagement irréversible de l’environnement ainsi que les difficultés à atteindre une production alimentaire pour nourrir convenablement les citadins du monde. Par ailleurs, si les villes sont sources d’opportunités multiples, elles sont également le théâtre d’inégalités socio-économiques et de ségrégations spatiales qui ne feront qu’augmenter à mesure que de nouvelles familles pauvres s’installeront dans les périphéries urbaines.

 

La gouvernance des villes sera donc décisive sur la réduction de la pauvreté mondiale par une juste redistribution des richesses, et une préservation de l’environnement et des écosystèmes mondiaux par des prises de décisions politiques courageuses. Sans quoi le monde pourrait ressembler dans un siècle aux scénarii apocalyptiques de long-métrages d’anticipation comme le Soleil Vert (Soylent Green, 1973).

Défis pour la mobilité urbaine

Le défi de la mobilité est indissociable de celui de la croissance de la population urbaine. Au-delà du fait que la raréfaction des ressources fossiles à la base des carburants traditionnels entrainera tôt ou tard une impitoyable augmentation du coût du transport individuel, il est, pour diverses raisons, inimaginable que chaque citadin se transporte en automobile. Tout d’abord, la majorité des ménages du monde ne peut se permettre l’achat d’un véhicule pour des raisons économiques. De plus le temps de transport et la contamination occasionnés par la congestion du trafic automobile sont des problèmes de premier ordre à résoudre dans toutes les métropoles mondiales.

 

L’Amérique latine est une région dans laquelle la forte urbanisation de la deuxième moitié du XXème siècle a entrainé une croissance horizontale des villes, suivant un modèle urbain de type californien, indissociable de l’usage de la voiture individuelle. Les conséquences environnementales et sur le fonctionnement urbain de la congestion dans des villes comme Mexico, Sao Paolo, Bogotá ou Buenos Aires sont désastreuses. La construction permanente d’autoroutes urbaines, de grandes voiries à plusieurs étages, d’échangeurs, de ponts, de tunnels, de passerelles piétonnes surélevées dans l’optique de fluidifier la circulation, ne fait, dans ces villes, que faire un appel d’air à plus de trafic automobile. L’augmentation affolante du parc de véhicules individuels en est la preuve. De plus, certaines familles disposent de 3 voitures ou plus, quand la majorité des latino-américains n’en a pas.

 

Les pays Africains et Asiatiques sont globalement plus pauvres et beaucoup moins urbanisés qu'en Amérique Latine et présentent donc moins ces phénomènes. Néanmoins, la consolidation de mégapoles et de couloirs urbains régionaux constitués de villes de différentes tailles (Hong Kong-Shenzhen-Guanzhou, 120 millions d’habitants sur 200km, Tokyo-Nagoya-Kyoto-Kobe plus de 50 millions sur plus de 500km ou encore l’urbanisation longitudinale le long du Nil…) posent également la question de la mobilité urbaine et interurbaine.

 

Tendances actuelle de la du transport massif urbain

 

En fonctions des régions du monde et des influences associées, apparaissent divers modes de transports dominants. Si les métros continuent de se développer sur tous les continents, les transports en commun de surface (tramway et bus à haut niveaux de services) laissent entrevoir des territorialités marquées.

 

Le métro se développe rapidement dans les villes du monde et n’est plus le moyen de transport massif privilégié des grandes capitales, puisque de nombreuses villes secondaires font le choix et ont les moyens de s’en équiper désormais. Depuis le début des années 2000, de nombreux pays émergents (Brésil, Chine, Corée du Sud, Turquie) ainsi que des pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Portugal) ont commencé à rattraper leur retard en la matière sur les pays occidentaux en construisant des métros souterrains et aériens.

 

Le métro peut être un véritable vecteur d’intégration des populations marginalisées aux activités et opportunités de la ville. C’est généralement le cas lorsque les municipalités subventionnent le prix du ticket de métro pour le rendre plus accessible. Les métros les moins chers du monde sont ceux de Téhéran (7 centimes d’euros le ticket, gratuit pour les personnes âgées), Dehli (11 centimes), Mexico (17 centimes) et Caracas (18 centimes).

 

En Europe, les tramways et tram-trains sont particulièrement implantés en milieu urbain. Si dans les villes d’Allemagne, d’Europe du Nord, centrale et orientale beaucoup de lignes introduites aux XIXème et XXème siècles sont toujours existantes et ont étés étendues, elles font depuis les années 2000 leur réapparition dans d’autres villes d’Europe occidentale et du Sud d’où les tramways avaient disparu [2]. Suivant un réel élan de mode de « bonne pratique urbaine » plus de 25 villes françaises ont réintroduit un tramway ou un tram-train depuis 2000 ou projettent de le faire dans les 5 prochaines années. En Espagne, en Italie, au Portugal et en Grèce, les villes semblent suivre également cette tendance de réintroduction.

 

A part au Japon et au Maghreb, ce mode de transport urbain est quasiment inexistant en Asie et en Afrique. Sur le continent américain, les Etats Unis et le Canada font office d’exception à la grande absence des tramways dans les villes.

 

Le tramway en site propre est pourtant l’un des moyens de transport collectifs les plus performants en nombre de passagers transportés par heure et par sens. Les tramways modernes ont  des capacités deux fois supérieures aux bus bi-articulés et contrôlent les feux de circulations pour avoir un passage prioritaire et ainsi garantir une régularité et une fréquence de passage en station soutenue. Généralement électriques, leur impact sur la qualité de l’air des villes est nul[3], et d’après Nantes Métropole, un tramway remplacerait 200 voitures dans la ville chaque jour réduisant ainsi la congestion et les émissions de GES et de particules cancérigènes. Les trams ont également l’avantage de desservir les rues étroites des centres-villes historiques, comme les lointaines périphéries et leur implantation est souvent prétexte à la requalification et à l’embellissement des rues et boulevards qu’ils parcourent. 

 

En Amérique Latine, en Asie et dans les pays Anglo-Saxons, on voit pourtant plutôt s’imposer depuis les années 2000 les systèmes de Bus Rapid Transit (BRT), bus à haut niveau de service, généralement bi-articulés et circulant en site propre, avec des stations surélevées au milieu des grandes voiries. D’après le site www.brtdata.org, en Amérique Latine, 53 villes sont désormais équipées de BRT (dont 31 au Brésil, 6 au Mexique et 6 en Colombie), 30 villes asiatiques (dont 17 chinoises et 4 indiennes) et 27 en Amérique du Nord et Océanie (dont 14 aux Etats-Unis et 6 au Canada).

Si ces systèmes permettent de transporter massivement de la population ils sont bien moins performants et plus polluants (généralement à moteurs diesels ou hybrides diesel/électricité, électriques dans le cas des Trolleybus) que les tramways. Leur avantage réside dans la rapidité de mise en place par rapport au tramway, qui est également plus coûteuse et implique des déviations plus longues du trafic le temps des travaux.

 

Une autre raison, commerciale cette fois, du choix du transport de masse tient au lobbying. Mis à part le canadien Bombardier, les principaux constructeurs de tramways sont européens ; Alstom (France), Siemens (Allemagne), CAF (Espagne), Stadler (Suisse), AnsaldoBreda (Italie) etc. Par contre, les BRT sont largement promus par l’association Nord-américaine EMBARQ, financée par la Fondation Shell, Bloomberg Philanthropies, Caterpillar Foundation et FedEx Corp. Fondée en 2002 à Washington, EMBARQ s’est étendue en créant un réseau d’agence dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Mexique, Pays Andins et Turquie). Ce lobbying en faveur des BRTs dans les zones du globe dont l’urbanisation et les ressources facilitent l’implantation de transports en communs massifs explique la propagation des bus plutôt que des tramways. Il en est de même avec les pays anglophones qui actuellement implantent préférentiellement des BRT (11 au Royaume Uni, 6 en Australie, 2 en Afrique du Sud, 1 au Nigéria…).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Metrobus de Mexico

 

Les transports aériens par câbles ont également commencé leur développement comme mode de transport massif en milieu urbain suite au pari réussi de la ville de Medellín d’implanter son MetroCable pour désenclaver et requalifier des quartiers populaires dans les collines entourant la deuxième métropole colombienne. Si de nombreuses villes dans le monde disposent de télécabines ou de téléphériques principalement à des fins touristiques, les 3 lignes de télécabines de Medellín sont raccordées au réseau de transport en commun urbains. Caracas et Rio de Janeiro ont déjà répliqué le modèle du MetroCable pour, eux aussi, désenclaver des quartiers populaires. Des projets similaires sont à l’étude dans plusieurs villes colombiennes et la Bolivie semble également s’intéresser à cette technologie.

 

Parmi les nombreux avantages de l’emploi de cette technologie comme système de transport urbain, on distingue le faible investissement initial nécessaire, la faible consommation énergétique (électrique), l’absence de rejets de contaminants dans l’air et de nuisances sonores, la capacité de franchissement d’obstacles et de dénivelés importants, la faible durée et emprise des travaux ou encore le fort marketing urbain et l’image avant-gardiste donnée aux métropoles qui l’implantent. Du côté des inconvénients, on peut souligner l’intrusion visuelle dans les propriétés survolées, le manque de confort (notamment l’absence de chauffage ou de climatisation dans les cabines), la difficulté d’accès aux personnes à mobilité réduite et finalement l’impossibilité de fonctionner par des vents soufflant à plus de 90km/h.

 

D’après une étude du CERTU, les systèmes de télécabines peuvent transporter jusqu’à 4000 voyageurs/heure/sens, ce qui les rend compétitifs avec des tramways modernes (entre 4000 et 5500 voy/h/sens environ) et plus performants que les bus bi-articulés (3000 voy/h/sens). On peut donc imaginer que dans les années à venir, de plus en plus de villes feront le choix de ce mode de transport innovant, efficace et peu polluant.

 

Mobilité douce

 

Face aux défis du changement climatique, de nombreux pays et villes se sont engagés par de une succession de chartes et traités internationaux à des réductions des émissions de GES et une planification urbaine en accord avec les principes du « développement durable » (Conférence de Stockholm 1972, Sommet de la Terre de Rio 1992, Charte d’Aalborg 1994, Conférence HABITAT II d’Istanbul 1996, Charte de Leipzig 2007 etc.). Parmi les applications concrètes à l’échelle locale se trouve la promotion de la mobilité douce (non-motorisée) dans les villes.

 

Les villes européennes ont travaillé fortement à la piétonisation des centres villes et de manière générale à la limitation de l’automobile dans les centres urbains ; accès automobile payant au centre (exemple de Londres), zones tarifaires de stationnement payant, parkings de dissuasions en périphérie avec transport en communs, réduction des vitesses et priorité à la traversée piétonne (zones 30, zones de rencontres)…

 

Le modèle urbain européen de la rue piétonne plantée avec ses cafés, restaurants et boutiques commence à s’exporter dans différentes villes en Chine comme en Amérique Latine. Par ailleurs, la création de pistes cyclables et la promotion de l’usage du vélo sont également une tendance en expansion croissante. Si les vélos sont courants dans les déplacements quotidiens en Europe du Nord ou encore en Asie du Sud Est, leur promotion est une véritable innovation pour les villes d’Europe du Sud et du continent américain, dans lesquelles le vélo avait une fin essentiellement récréative.

 

Le développement des systèmes de vélos publics partagés ou en libre service est devenu un phénomène urbain mondial. Il permet d’augmenter progressivement la part modale du cycle dans les déplacements quotidiens, d’habituer les automobilistes à la présence de cyclistes sur les chaussées et offre également aux touristes un moyen plaisant et économique de découvrir les villes.

Initiée en Europe en 2007, cette pratique y est très représentée (plus de 40 villes équipées en France, plus de 60 en Espagne et en Italie…) mais gagne progressivement du terrain sur d’autres continents [4]. Le Japon et la Chine se sont largement approprié les systèmes de vélos partagés et en sont les précurseurs en Asie. Au proche et moyen orient certaines villes en sont également équipées, à l’instar d’Izmir, Tel Aviv, Téhéran, Baku ou encore Dubaï. Ce type de systèmes de mobilité urbaine douce n’a pas encore été expérimenté sur le continent africain.

 

Si les Etats-Unis et le Canada ont également étendu leurs réseaux dans de nombreuses villes, en Amérique latine ce sont surtout les capitales et principales villes qui en sont équipées à titre expérimental pour le moment (Mexico, Quito, Bogotá, Medellín, Rio de Janeiro, Sao Paolo, Buenos Aires, Santiago du Chili…). Malgré le retard accusé par la région latino-américaine en matière de mobilité cycliste, on observe ces dernières années une multiplication des projets allant dans ce sens et donc la capacité des pays à surpasser l’inertie liée aux déplacements automobiles. L’augmentation du nombre de pistes cyclables en est une preuve : 354km de pistes à Bogotá, 282km à Rio de Janeiro, 160km à Brasilia (400km prévus pour 2014), 120km à Curitiba, 120km à Lima (200km prévus pour 2014), 94km à Buenos Aires (140km prévus pour 2013), 67km à Sao Paolo, 42km à Mexico.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Utilisatrice du système de vélo en libre accès Ecobici de Mexico

 

Prix du transport Durable

 

Depuis 2005, l’ONG étatsunienne ITDP (Institute for Transportation and Developement Policy) décerne annuellement le Prix du Transport Durable à une ou plusieurs villes ayant initié des projets novateurs ou une gouvernance exemplaire en faveur de la mobilité durable. Le jury est composé entre autres d’experts en mobilité des organisations ITDP, EMBARQ, et Clean Air Institute (créé par la Banque Mondiale) ainsi que des Nations Unies et le l’agence allemande pour la coopération GIZ.

 

Depuis sa création, le prix a été remporté par 4 villes latino américaines ; Bogotá 2005, Guayaquil (Equateur) 2007, Medellín 2012 et Mexico DF 2013. C’est autant que les villes européennes et nord-américaines réunies ; Paris et Londres en 2008, New York en 2009 et San Francisco en 2012 et plus que les villes asiatiques ; Séoul 2006, Ahmedabad (Inde) 2010 et Canton 2011.

 

Conclusion

 

Malgré la portée symbolique du Prix du Transport Durable, on observe parmi les villes candidates et lauréates de plus en plus de villes de pays émergents et en développement, confirmant les efforts à l’échelle locale pour instaurer des systèmes de transports innovants et visant une réduction de l’impact environnemental des métropoles.

 

Bien que dans de nombreux pays des Sud, les investissements dans la voirie restent colossaux, on voit de plus en plus apparaitre des transports urbains collectifs. Si les choix de tel ou tel mode de transport sont généralement conditionnées par les logiques commerciales, les aménagements et investissements réalisés vont globalement vers une diminution de la part modale de l’automobile et une démocratisation de la mobilité grâce à des transports accessibles financièrement aux populations défavorisées.

 

Enfin, le secteur des transports n’est pas le seul producteur de gaz à effets de serre et de contaminants. L’industrie, le logement, la consommation et l’étalement urbain sont des thèmes sur lesquels les villes doivent également travailler sérieusement pour réduire leur consommation énergétique et autres ressources ainsi que leur impact sur l’environnement.

 


[1] D’après une projection de l’ONU sur la population des villes en 2025, parmi les 15 villes les plus peuplées du monde on comptera 9 villes asiatiques (contre 8 en 2007), 3 villes Africaines (contre 0 en 2007), 2 villes latino-américaines (contre 4 en 2007) et 1 ville nord-américaines (contre 2 en 2007). Delhi et Dhaka (Bangladesh) remplaceraient à l’horizon 2025 Mexico et New York dans les 5 villes les plus peuplées du monde aux côtés de Tokyo, Bombai et Sao Paolo.


[2] Souvent en raison de l’essor de l’automobile et du bus, les lignes de tramways ont été supprimées des villes dans la première moitié du XXème siècle, pour commencer à y revenir progressivement à partir des années 1980, face aux crises économiques et à l’importante pollution atmosphérique des villes. Les années 2000 représentent l’avènement des nouvelles générations de tramways et leur (ré)-implantation massive dans de nombreuses villes européennes.


[3] Son impact environnemental dépend cependant de la façon dont a été produite l’électricité. Si en Suède ou en France plus de 90% de l’électricité produite provient du nucléaire et d’énergies renouvelables, cette production représente moins de 30% en Italie, au Royaume Unis ou en Grèce, pays dans lesquels la majorité de l’électricité provient de centrales thermiques conventionnelles (gaz, charbon, pétrole, fioul), dont la contamination atmosphérique est élevée. http://www.observatoire-electricite.fr/2010/fiche/mix-de-production-%C3%A9lectrique-en-europe


[4] Voir sur internet : The Bike-sharing World Map

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