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Urbanisme chinois, Vitrine d’un pays en mutation

Charlène Lemarié



L’urbanisme en Chine est un sujet récurrent en France ; numéros spéciaux et articles abordent aussi bien les conséquences d’un urbanisme tous azimuts que sur les dernières innovations en matière d’œuvres monumentales.


Cet écrit tente d’expliquer que la politique urbaine menée actuellement en Chine reflète un pays paradoxal : à la croisée d’un système économique capitaliste, dans lequel la maxime « enrichissez-vous » lancée par Deng Xiao Ping fut appliquée à la lettre, et d’un système politique communisme en essoufflement ; entre état de fait et société civile !



Petite histoire d’un urbanisme hétéroclite…

Depuis les années 1990, l’urbanisation est au cœur du processus du développement chinois. Avec un taux d’urbanisation, en 2010, de 48%, les villes chinoises se sont considérablement développées. Entre extension des villes déjà existantes et transformation des zones rurales en zone urbaine, la planification urbaine fait désormais partie intégrante des stratégies politiques des différents échelons territoriaux (national, provincial et municipal).


Un urbanisme hétéroclite, contrasté qui témoigne de l’évolution d’une société en mutation. A la fin des années 1980, avec l’ouverture économique voulue par Den Xiao Ping et une croissance économique annuelle de 10%, l’urbanisme s’est révélé désordonné, spontané et guidé par des promoteurs plus soucieux d’un profit rapide que par une préoccupation de durabilité. La candidature aux JO de Pékin en 2008, a permis une évolution urbaine ainsi que sociétale. Pékin est devenue un véritable laboratoire d’architecture. La construction de l’opéra fut le premier projet important de cette révolution urbaine : chantier confié pour la première fois à un étranger (l’architecte Paul Andreu) et qui contraste fortement avec une Chine traditionnelle (immense bulle de verre au milieu d’un plan d’eau artificiel, situé non loin de la Cité Interdite). L’aéroport de Pékin construit en moins de 4 ans par Norman Foster et la fameuse tour CCTV, largement controversée, réalisée par Rem Koolhaas, font partie tous deux des nouveaux symboles de la Chine moderne.


L’exposition universelle de 2010 a également permis à Shanghai de se renouveler. Sur le thème « Better City, Better Life », la Chine a souhaité s’affirmer dans le milieu urbain, tant dans le domaine de l’innovation que du patrimoine.


Si, en effet, il y eut de nombreuses expropriations et destructions du patrimoine lors de ces deux évènements internationaux (en exemple, sur les 2300 hutongs, ou maisons traditionnelles pékinoises*, il n’en reste aujourd’hui plus qu’un tiers), le gouvernement s’est doté d’un label « Villes, Bourgs et Villages Historiques » depuis 2009 et en 2010 sont apparues de nouvelles réglementations et normes sur l’isolation thermique et la ventilation naturelle. Qui plus est, la Chine dispose depuis 1994 d’un agenda 21.



Villes versus laboratoires urbains
Du côté de l’innovation, la Chine a comme ambition de créer de véritables villes expérimentales afin de drainer l’économie nationale. Ainsi le gouvernement, via un schéma directeur national planifié sur 20 ans et des avantages fiscaux, investit désormais dans les villes de l’Est, aussi bien dans le domaine du tertiaire que de la communication, comme Wuhan, Chongqing et le delta des 3 gorges, près de Hong Kong ou encore les innombrables investissements d’aménagement du delta du Yangtse (3ème fleuve du monde, abritant 38% de la population chinoise, partant du plateau du Tibet jusqu’à Shanghai). Le Yangtse est devenu ainsi un véritable outil d’aménagement du territoire.


Le développement économique, en plus des opérations de prestige, semble générer une nouvelle organisation spatiale. La ville de Ningbo présente un exemple intéressant en termes de développement. Située à 2h30 de Shanghai, localisée sur la baie de Hangzou et comptant 5,5 millions d’habitants, Ningbo est aujourd’hui un grand centre économique et portuaire de la région en plus de faire partie de la liste des « villes historiques et culturelles de Chine ». Son Plan de développement urbain décidé en 2000, à travers 6 grands axes, reflète parfaitement cette ambition de se développer grâce et par un urbanisme innovant. 



En plus de monuments prestigieux, tels que le musée d’art qui fait partie d’une des nombreuses fiertés de la ville, l’ancien port est devenu un quartier relativement chic. Et la place centrale de la ville (place Tianyi) symbolise l’innovation artistique et la performance d’une construction publique à travers son plan d’eau, sa fontaine musicale (la plus haute d’Asie) et son écran d’eau (projection de film).



A la recherche d’une meilleure urbanité
Pour autant, malgré ces nouvelles ambitions d’amélioration du cadre de vie, les gouvernements locaux se heurtent à une pression démographique importante, à l’insalubrité de nombreux logements traditionnels, à une volonté politique contrecarrée par un secteur privé très fort et à une corruption de nombreux fonctionnaires et par une fuite en avant toujours aussi importante de la croissance et de la spéculation immobilière.


La Chine s’affirme tout de même de plus en plus dans un urbanisme raisonnable faute d’un véritable urbanisme durable pour le moment. L’urbanité s’est améliorée, comme l’importance des espaces verts (1/3 d’espaces verts à Pékin*) , l’amélioration du tout à l’égout et des services urbain de base en général (lors des J.O de Pékin, 80% du budget municipal furent destinés à réorganiser le réseau du bus et du métro*). Si certes les aspects techniques sont d’avantage pris en compte que les aspects sociaux, l’ONU, lors du 4ème forum urbain mondial qui s’est déroulé à Nankin en 2008, a déclaré que la Chine était un modèle à suivre : logements bon marché, réduction de la pauvreté (500 millions de personnes seraient passées au-dessus d’1$ par jour en 25 ans), plus de 10% du PIB aurait été investi dans la construction d’équipements publics, d’infrastructures urbaines et de logements* .


Des propos à nuancer pour autant puisque les 250 millions de migongs* (travailleurs migrants) ne disposent toujours pas d’un passeport citadin et ne peuvent donc pas avoir accès aux équipements de base des villes comme l’éducation et la santé, alors que ces derniers sont les ouvriers de cette Chine moderne (85% des employés de l’industrie sont des migongs*).



L’émergence d’une société civile ; symbole d’une nouvelle identité urbaine chinoise ?
Dans tous les cas, depuis une dizaine d’année, une société civile sort de l’ombre afin de dénoncer les abus sociétaux.


En exemple, des citadins agissant souvent via le biais de Greenpeace (organisation illégale en Chine) se munissent de caméra vidéo pour aller filmer les dégâts de certaines entreprises sur le paysage chinois à leurs risques et périls afin de faire naître au grand jour les conséquences d’une croissance encore trop malsaine. De nombreuses associations voient également le jour souvent appuyées par des avocats, journalistes, intellectuels et scientifiques pour tenter de défendre les droits de l’homme comme l’ONG de Pékin « les amis des mingongs » qui tente, en autres, d’apporter aux enfants d’ouvrier une base d’éducation aidé, dans ce cas par des directeurs d’écoles. L'accès à Internet par les nombreux cybercafés représente pour les jeunes un moyen de dénoncer sur la toile les abus de corruption. Devenu un véritable outil de contestation d’une société contournant la censure chinoise au point que certains membres du gouvernement de l’ancien premier ministre chinois, Wen Jibao, souhaitaient fermer ces espaces de désobéissance sociale.


Les universités jouent également un rôle important dans la fabrique d’un urbanisme plus durable (Tongji à Shanghai ou Tsinghua à Pékin*). En effet, ces universités ont la possibilité de répondre à de réelles commandes de projet urbain et se relèvent, au niveau national, de véritables expertes dans la protection du patrimoine. L’université de Tongji a, par exemple, mis en place à Shanghai un système de protection de 12 zones historiques afin d’éviter la destruction de la ville traditionnelle.


Qui plus est, ces universités donnent un nouveau souffle à la conception urbaine à travers la nouvelle génération d’architectes chinois tel que, par exemple, Wang Shu (figure emblématique d’un urbanisme nouveau, ayant reçu le prix Pritzler en 2012) qui à travers des œuvres comme le musée d’histoire de Ningbo tente de lutter contre un uniformise urbain et de relever une identité architecturale propre à une Chine moderne. Entre artisanat, récupération de matériaux régionaux et traditionnels et œuvre monumentale très contemporaine, l’architecture et l’urbanisme chinois commencent à trouver une reconnaissance au niveau international.

 


Sources:

Les travaux de Jérémie Descamps, urbaniste et sinologue, ayant son atelier à Pékin « Sinapolis » et pour lequel j’ai travaillé en 2010 furent à la base de cet écrit :
-L’article de Connexion : Les coulisses de a ville,
-L’étude « Villes chinoises et modernité : vers une reconnaissance de l’histoire Urbaine »
-L’étude « L’invention du Yangzi ; linéarité fluviale, segmentation provinciale et métropolisation  littorale.

Quartier ancien à Shanghai, 2010

Le Nid d'Oiseau, Beijing, 2010

Cours intérieur d'un Hutong, Beijing, 2010

*Chiffre du Hors-série Science et Vie, « La face caché des JO », 115 pages, 2008.

Le Barrage des trois gorges, 2011

Wuhan, 2011

*Chiffres du Hors-série Science et Vie, « La face caché des JO », 115 pages, 2008.

*Chiffres d’ONU Habitat

*Chiffre : Jean Paul Yacine, question Chine.net, Les migrants relèvent la tête, 11/03/2010

*Chiffre : PHILIPPE GRANGEREAU, Libération, Chine, la servitude du prolétariat, 23 mars 2010.

Tag au 798, Art-Zone, Beijing, 2010

*Jérémie Descamps, Les coulisses de a ville, Connexions, 2010

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