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Histoires de logement...

 

Charlène Lemarié & Pierre Arnold

 

La Gran Casa; un foyer autogéré de personnes sans abris

Un mardi soir 19h dans un des bureaux du centre d’Intégration « Monteagudo », un espace qui accueille des personnes sans abri situé à Buenos Aires (environ 115 hommes)… J’écoute ces 7 hommes aborder le concept philosophique de Présent Continu... D’habitude nous essayons tant bien que mal de relancer l'édition du magazine « Nunca es Tarde » (Il n’est jamais trop tard), écrit par les compañeros du centre, mais aujourd’hui la discussion se veut plus intimiste… Aux parcours très différents, ces hommes se sont retrouvés dans la rue pour des problèmes familiaux, économiques, de santé ou bien politiques. Certains ont beaucoup voyagé dans leur jeunesse, aux Etats-Unis ou en Europe,  avant de finir dans les rues de Buenos Aires…

 

Si le Monteagudo leur offre un endroit où s’abriter, où manger, où se reposer et où se doucher… cet endroit est une  transition dans leur vie. Construire des projets voilà ce qui les fait avancer. Certes trouver un travail ou des changas (petit boulots) pour gagner quelques sous fait partie de leurs souhaits… Mais c’est bien l’idée d’avoir un projet et d’essayer de le réaliser qui leur donne une motivation et leur permet d’exister !

 

Je suis à chaque fois admirative devant ces hommes qui sont toujours motivés, de bonne humeur et qui répondent toujours présent à ces réunions de la Revue. Malgré des conditions de vies difficiles et précaires, ils trouvent la force de s’engager sur différents  projets (vidéo, radio, photographie, écriture…) et dans la lutte des droits des personnes sans-abris.

 

La revue « Nunca es Tarde » est justement une fenêtre sur l’actualité et sur les avancées de la loi 3.706[1] de la ville de Buenos Aires, une loi qui fut le résultat de mobilisation et de participation des personnes sans-abris de la ville. Cette revue n’est pas simplement une simple compilation d’articles ou d’histoires…  Derrière chaque page se cache un homme qui inspire via cette revue à trouver un rôle, à un objectif dans sa vie et dans la société… Ecrire pour sortir de la rue, la nécessité de communiquer, parler et surtout de se sentir visible !

 

Pour autant ces hommes présents chaque semaine à l’atelier de la revue sont peut-être ceux qui s’en sortent le mieux dans le foyer… Il y a tous les autres ; les plus jeunes que l’on voit peu, attrapés par la rue et la drogue ; les plus vieux qui se terrent dans ce centre sans en sortir… C’est peut-être le dernier foyer pour les compañeros malades ou handicapés et qui peuvent se retrouver un soir sous les roues d’une voiture dans les rues peu éclairées du quartier Parque Patricios, au Sud de la Capitale Fédérale. Et puis il a y tous ceux en dehors du Centre Monteagudo, dans les autres centres d’accueil, dans les vieux hôtels surpeuplés, dans des bâtiments occupés en attendant d’être délogés, dans les parcs, ou à même la rue… tous ceux qui sont invisibles ou dont la vue est insupportable pour le reste de la ville.

 

Ce Centre d’Intégration fait partie d’un programme plus vaste de défense des personnes sans-abris « Proyecto 7 » et est essentiellement le résultat du combat d’un Homme, Horacio Villa. Ayant connu également la rue, cet homme apparait comme un leader ; écouté et respecté de tous au-delà du Monteagudo par sa prestance et la clarté de son discours engagé. Horacio est parvenu à créer cet espace de solidarité proposant lit, couvert, suivi psychologique et médical, ainsi que les différents ateliers dans lesquels interviennent des bénévoles et des professionnels. Un espace démocratique autogéré, dans lequel chacun a son mot à dire sur l’organisation via notamment les assemblés quotidienne. « L’idée est de continuer à travailler pour l’intégration sociale et que chacun qui réside aujourd’hui au Monteagudo puisse y avoir sa propre vie » [2] Aujourd’hui, il est moins présent sur le « terrain » car il a fait le choix de continuer la lutte au niveau institutionnel, pour créer des lois et surtout pour trouver des solutions de logements définitives.

 

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Les 17.000 personnes vivant dans la rue à Buenos Aires, témoignent-elles d’une crise du logement ?

 

La crise économique et sociale qu’a connue le pays à partir à partir de décembre 2001 et en 2002, conséquence du virement néolibéraliste des années 1990 du pays, a provoqué une situation sans précédent. La moitié de la population s’est retrouvée sous le seuil de pauvreté après avoir perdu toutes ces économies dans les banques en faillite et la fermeture des entreprises a créé un chômage massif obligeant de nombreuses familles à vivre dans la rue, des squats et des hôtels familiaux insalubres.

 

Malgré le boom immobilier qu’a connu la ville depuis la fin de la crise[3], la construction de logement de la dernière décennie n’a bénéficié qu’aux secteurs les plus aisés de la société qui ont vu dans l’investissement dans la pierre un refuge de pour leurs économies. L’existence d’une demande de biens immobiliers par une tranche de la population capable de mettre un prix élevé a rendu les valeurs des biens immobiliers et du foncier presque inaccessibles même aux classes moyennes. Par ailleurs, l’inflation annuelle de 30%, la vente des biens immobiliers en dollars et l’absence de crédits hypothécaires sont d’autres facteurs rendant aujourd’hui presque impossibles l’accès aux logements neuf ou usagés à la grande majorité de la population.

 

Ce contexte explique que paradoxalement, aujourd’hui, la capitale compte plus de logements vides à des fins spéculatives que de personnes sans-abris ou dans des conditions précaires[4].

Les logements vides se concentrent essentiellement dans le centre sud de la ville. Vidé en grande partie de leurs populations dans les années 90 au profit de banlieue résidentielle et réinvesti par des classes populaire, aujourd’hui ces quartiers de centre urbain sont de nouveau réinvestis par les promoteurs immobiliers après une stratégie planifiée d‘abandon (laisser pourrir les logements en attendant que les terrains prennent de la valeur pour les utiliser et les vendre)[5]

 

Ce processus appelé « gentrification » n’implique pas seulement le déplacement d’habitant et la récupération des vieilles maisons c’est également un processus de conquête territoriale par les acteurs dominants[6].

 

Face à la rétention spéculative de ces logements vides de l’offre du marché, 139 000 personnes, soit 4.8 % de la population de la ville, vivraient informellement dans des d’édifices insalubres le plus souvent transformés en hôtel de passage appelé « Hôtel sans étoile ».

 

De nombreuses familles font le choix d’y vivre dans la précarité pour être plus proche d’offre de travail et d’avoir à proximité les services nécessaire. Et chaque jour des familles sont expulsées de ces logements, parfois de manière violente, et doivent trouver refuge dans d’autres quartier ou dans des bidonvilles.

 

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Personnes sans abris, abris sans personnes

Le quartier de San Telmo dans lequel nous vivons est un exemple de quartiers centraux touchés par la gentrification, comme nous l’a raconté en ses propres termes Jose Maria, 63 ans, argentin d’origine russe et qui en subit de plein fouet les conséquences.

 

Nous l’avons rencontré au marché de la rue Balcarce de San Telmo, un samedi matin, alors qu’il récupérait des fruits et légumes jetés par les stands du marché. D’un naturel joyeux et bavard nous avons discuté avec ce personnage qui semblait heureux de partager quelques mémoires de sa vie avec de jeunes étrangers. Des mémoires dans tous les sens mais qui laissent entrevoir une histoire qui nous a semblé intéressante à écouter en acceptant de prendre un maté chez lui.

 

José Maria est électricien de formation et vit depuis 40 ans au 741 de la rue Tacuari, San Telmo, dans une vieille bâtisse du début du XXème siècle. Cette maison était un hôtel familial de 20 chambres où logeaient des ménages populaires jusqu’à la mort de sa mère en 2002.

Face aux faibles ressources de sa famille, Jose Maria a développé le sens de la débrouille, du bricolage et de la science qu’il applique tant pour l’aménagement de sa maison que pour la création de lampes, de projecteurs de cinéma, de boules à facettes et autres objets insolites en matériaux de récupération « Le savant fou de retour vers le futur, c’est moi ! ».

Les familles qui venaient à la pension étaient généralement en situation de pauvreté,  « l’étape avant d’habiter dans des villas » (bidonvilles).

 

L’hôtel est en mauvais état, une partie du toit s’effondre, et la ville ne donne pas de subventions pour aider à rénover ce bâtiment pourtant dans la zone de protection patrimoniale. Pour être aux normes sanitaires et d’habitabilité et pouvoir reprendre l’activité légalement il faudrait faire de nombreux travaux structurel lourds, des salles de bains supplémentaires pour correspondre au nombre de chambre etc. « Il faudrait investir des dizaines de milliers de pesos mais aucune banque ne me ferait de prêt vu mon âge et la maigre pension que me donne l’état pour survivre ».Par conséquent, dans son hôtel de 20 chambres José Maria n’héberge que 3 personnes sans-abris à qui il donne un toit informellement pour quelques centaines de pesos par mois, et lui-même.

 

Des investissements importants sont faits par la municipalité sur les espaces publics pour revaloriser San Telmo, quartier voisin de Puerto Madero, le quartier de tours pour les élites économiques du pays qui a remplacé l’ancien port de la ville.

 

La gentrification implique une transformation radicale de commerces de proximité en boutiques de luxe et de nombreux hôtels-pensions en auberges de jeunesses et hôtels pour touristes. L’importante spéculation immobilière qui en découle se répercute par des loyers importants et une difficulté de plus en plus grande pour les familles populaires de se loger dans des conditions salubres. De nombreux hôtels, et maisons squattées persistent pour autant dans le quartier, signes de la résistance populaire et à la nécessité des habitants de préserver leur espace de centralité.

 

Refusant de vendre la maison et devant l’impossibilité de louer les chambres, et donc d’avoir un revenu, Jose Maria a commencé à vivre de la récupération de nourriture et d’accumuler des objets trouvés dans la rue qu’il stocke en vue de les utiliser pour telle ou telle future invention. Fumeur de longue date il est atteint de maladies qui lui ont déjà valu des infarctus et de considérer, avec le sourire, qu’il arrive au bout de sa vie. Il nous explique en servant le maté, que désormais il regrette d’avoir privilégié son travail, ses inventions et ses projets au fait de fonder une famille. Il ne projette plus désormais et attend venir son heure, en regardant s’entasser dans un coin de sa cuisine les paquets de cigarettes vides. « J’ai lu quelque part qu’en gardant les paquets que l’on fume dans un endroit au lieu de les jeter, cela aide arrêter car on se rend mieux compte de la quantité de saloperies que l’on fume… je n’arriverai plus à arrêter mais je continue de garder les paquets et à les empiler… ».

 

 

***

La crise du logement est un fantasme inventé et soutenu par l’Etat, car d’après Proudhon, elle est nécessaire au système capitaliste.

Alors que selon les statistiques officielles la population des bidonvilles de la capitale a doublé en 10 ans (2001-2011) et que le nombre d’expulsions et de personnes sans domicile atteint des records, un nombre de logements presque équivalent au « déficit de logements » est maintenu vide. Et ce, à des fins spéculatives de leurs propriétaires ou, comme dans le cas de José Maria, par une absence d’intervention publique pour récupérer et valoriser le patrimoine bâti de la ville.

Le laisser faire est une politique publique qui sert toujours le marché. Tôt ou tard la propriété de José Maria sera rénovée et transformée en auberge de jeunesse ou sera démolie et substituée par l’usage les plus rentable permis (ou non) par la règlementation urbanistique de Buenos Aires.

 

 

Références

 

[1] Ley de Protección y Garantía Integral de los Derechos de las Personas en Situación de Calle y en Riesgo a la Situación de Calle. (Loi de Protection et Garantie Intégrale des Droits des Personnes Sans Domicile Fixe et en Risques d’Expulsion). 2010. http://www.cedom.gov.ar/es/legislacion/normas/leyes/ley3706.html

 

[2] Horacio Villa, directeur du Centre d’Intégration Montéagudo lors d’un entretiens accordé à la revue « Nunca es Tarde » en novembre 2012.

 

[3] 1,3 millions de m2 résidentiels construits en moyenne par an entre 2001 et 2010.

 

[4] Selon le recensement national de 2010, 340.000 logements ont été relevés comme inoccupés. De ce nombre il faut retrancher les logements transformés en bureau ou cabinets privés, les logements en construction et à louer au moment du recensement. Selon les chercheurs de l’Université Nationale General Sarmiento, c’est environ la moitié, soit 170.000 logements qui seraient vides. 170.000, c’est également le nombre de familles sans abris dans la ville de Buenos Aires (3 millions d’habitants).

 

[5] Rolando ASTARITA, La cuestión de la vivienda y el marxismo, 2010, p8

 

[6] CASGRAIN, A. (s.d.). Gentrificación empresarial en el centro de Santiago. Dans R. H. JANOSCHKA, La ciudad neoliberal.

Vidéo de présentation du Montéagudo rélisé par Walter Sangroni dans le cadre de la publication de son livre "la gran casa", un photo-reportage de ce centre pour les sans abris

Personnes sans-abris dan sun quartier riche à Buenos Aires

Le tissu urbain traditionnel est progressivement remplacé par des immeubles de logement dans la ville, ici à San Telmo

Exemple d'une maison laissé esà l'abandon dans un des quartiers les plus touristique de Buenos Aires : San Telmo

Maria José Luis dans une des anciennes chambres. Ici il nous explique qu'une partie du toit s'est éffondré.

Maria José Luis qui nous montre ses inventios et nottament ses différents modèles de lampes.

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